Antisémitisme : pourquoi je n’ai pas voté la proposition de résolution aujourd’hui à l’Assemblée nationale

L’antisémitisme est un fléau qu’il faut combattre avec toutes nos forces. Comme toutes les formes de racismes et de haines, il n’a aucunement sa place au sein de la République et je suis attachée à ce que nous mettions en œuvre tous les moyens nécessaires pour mener ce combat.

L’actualité nous rappelle cruellement au fil des semaines combien ces combats sont nécessaires. Aujourd’hui même, un cimetière juif a été profané dans le Bas-Rhin. Une ignominie qui s’ajoute à la longue liste des églises profanées, des citoyens attaqués parce que musulmans, et d’actes haineux multiformes mais qu’il faut tous combattre avec la plus grande fermeté.

Pourtant aujourd’hui, je ne voterai pas la proposition de résolution soumise à notre Assemblée par mon collègue Sylvain Maillard. C’est une décision difficile à prendre mais que je sais de responsabilité et c’est pourquoi je veux prendre le temps de vous en exprimer les motivations profondes.

Depuis juin, une rédaction qui a évolué mais reste trop floue

Je suis extrêmement attachée à la lutte contre l’antisémitisme et contre toutes les formes de racismes. Le vivre ensemble est le socle de mon engagement politique.

C’est pourquoi j’ai fait part très tôt à mon collègue Sylvain Maillard et au Groupe LaREM de mes réserves, dans une démarche que j’ai souhaitée constructive. J’ai accepté de participer à une réunion de travail cet été sur la proposition de résolution et ai exprimé à cette occasion en détail les points qui me semblaient poser difficulté. Le texte a depuis évolué, dans le bon sens, sur de nombreux aspects en prenant en compte plusieurs de mes alertes.

Ainsi, cette nouvelle version du texte emprunte une rédaction que je crois plus nuancée :

  • Elle évoque plus clairement que les critiques à l’égard du gouvernement israélien et de sa politique ne sont pas un élément en soi constitutif de l’antisémitisme ;
  • Elle n’évoque plus « l’État juif » mais l’État d’Israël ;
  • Elle opère une distinction plus claire entre l’antisionisme et l’antisémitisme ; 
  • Elle retire l’acceptation « sans réserve » de la définition opérationnelle de l’antisémitisme proposée par l’IHRA, dont les exemples qui l’accompagnent posent des difficultés exprimées par plusieurs acteurs en France et à l’international.  

La nouvelle version du texte, qui est aujourd’hui examinée par l’Assemblée nationale, continue cependant de poser des questions majeures de fond et de forme, et c’est pourquoi j’ai décidé de m’abstenir lors de ce vote. 

Une impasse dérangeante sur les autres formes de racismes et de haine qu’il faut combattre avec la même force !

Une résolution est, par essence, non contraignante. Cet exercice déclaratif demande donc de porter une attention particulière aux symboles.

Ce texte, malgré ma proposition, n’a pas été élargi à toutes les formes de racismes et de haine, au risque de se révéler contre-productif en alimentant un sentiment du « deux poids deux mesures ».

Dans la lutte contre les haines, nous devons rechercher avant tout l’unité nationale : quel meilleur moyen pour cela que de nous retrouver dans l’expression de notre détermination à lutter contre toutes les formes de racismes, dont bien sûr l’antisémitisme ?

Un texte aux contours flous issu d’un travail trop précipité

Sur le fond, le texte consiste en l’adoption par l’Assemblée nationale de la « définition opérationnelle » de l’antisémitisme telle qu’adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), une instance intergouvernementale dont la France est membre.

Voici cette définition : « L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. »

Je n’ai aucune difficulté avec cette définition et l’approuve.

En revanche, cette définition est accompagnée d’une série d’exemples dont certains soulèvent des débats, y compris dans d’autres pays membres de cette instance.  

C’est notamment le cas de plusieurs exemples qui mentionnent l’État d’Israël et laissent craindre qu’ils puissent être invoqués pour limiter l’exercice d’une parole critique contre l’action politique du gouvernement israélien.

J’ai obtenu que le projet de résolution soit modifié : si la première version « approuvait sans réserve » la définition de l’IHRA (et donc les exemples associés), la version soumise au vote aujourd’hui l’« approuve ». C’est une nuance que je crois importante, et qui a d’ailleurs été appuyée par mon collègue Sylvain Maillard lors de son intervention à la tribune aujourd’hui.

Ces exemples restent selon moi problématiques, et doivent nous appeler à la prudence.  

Je ne prétendrai en effet pas m’improviser experte du conflit israélo-palestinien et des conséquences juridiques ou politiques d’une telle définition. Je crois donc que cette résolution aurait dû demander, en amont, un travail de concertation et de fond beaucoup plus important.Il est dommage que certains acteurs, comme la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme – qui est compétente en la matière en France – n’aient pas été auditionnés. Je crois qu’il eut également été utile de consulter largement spécialistes de la lutte anti-raciste, historiens, politologues, et spécialistes du Proche-Orient pour avoir une vision claire sur les tenants et aboutissants d’une telle initiative.

Aujourd’hui, je regrette que cette séquence politique laisse apparaître de la division là où il ne devrait y avoir qu’unité. Et ceci dans un contexte, de surcroît, de crispation générale. Le choix des mots, toujours, est important : nous autres, élus de la Nation, devrions certainement en avoir une conscience plus aiguë encore que d’autres.

Une mission d’information sur l’évolution des différentes formes de racisme et les solutions à y apporter

L’annonce cette semaine de la création d’une mission d’information sur l’évolution des différentes formes de racisme et les solutions à y apporter est en cela une bonne nouvelle. Cette initiative montrera sans doute qu’il s’agit là d’un enjeu universel que nous partageons tous.

Cette résolution n’était pour moi pas le bon levier. Maintenant ce vote, et les crispations qui vont avec, derrière nous, j’appelle chacun à poursuivre ce combat contre l’antisémitisme, les racismes, les haines.

Partout, toujours, je me dresserai du côté de ceux qui veulent faire vivre cette si belle promesse républicaine : celle de permettre à chacun de nos concitoyens de vivre leurs convictions comme ils l’entendent, dès lors qu’elles restent dans un cadre républicain.

C’est mon combat, je sais que c’est aussi le vôtre. Continuons à le mener, ensemble.

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